chacun des bruits aux alentours de la bibliothèque te font mal aux tympans, résonnent dans ton crâne et te donnent des maux de têtes impossibles. quelle bonne idée, de venir ici un dimanche matin, et tout ça pour un tutorat et de l'argent dont tu n'as jamais réellement eu besoin. certains jours, tu te demandes réellement ce qu'il peut bien de passer par la tête par moments. idée stupide de même avoir pu accepter cette demande pour aider quelqu'un, idée encore plus stupide quand il s'agit d'un normie. il y a des fois où tu te surprends toi-même à retrouver les idéaux de ta famille rien qu'en réfléchissant. mais à chaque coup d'oeil posé sur l'heure de ton téléphone portable, tu te mets à regretter ces pensées de moins en moins.

t'as bien dis à pile, pourtant.

XX:57

peut-être que t'abuses un peu, avoue ?

un peu. c'est plus facile de chercher - et trouver - des raisons de ne pas l'apprécier qu'accepter qu'il peut bien être sympathique, Barnes. c'est plus simple de rester coincé dans les désillusions des Hrodwulf, de ne pas tenter le diable en désacrant le nom de ta famille, des esprits qui tournent probablement autour de toi à présent, et de prétendre qu'au fond tu n'as pas déjà commencé à te demander s'ils ont bien raison dans leur idée que vous êtes tous supérieurs à eux.

bien sûr que vous l'êtes, c'est quoi cette question ?

un soupir, un souffle qui t'échappes d'agacement quand ton regard se repose sur le téléphone. même pas une minute de passée. manque d'impatience quand il s'agit des autres, ça a toujours été un de tes plus grands défauts. tu n'as jamais su t'occuper en attendant. t'es juste là, à feuilleter le bouquin sur les plantes que t'as sorti pour l'aider à étudier, à relever le regard à chaque seconde, à te reposer les mêmes questions encore et encore. t'aurais dû les écouter, les misfits, quand ils t'ont dit c'est pas une bonne idée d'enseigner à un normie. t'aurais dû t'écouter, t'aurais pas dû faire ça. parce que bordel, en plus, de l'argent t'en as. ça t'sers à quoi ?

et puis quand la porte s'ouvre enfin..

XX:00

merde, tu peux pas râler.

il y a un grognement qui s'éteint dans ta gorge. pire idée, un tutorat le matin après une pleine lune. tes yeux ne décrochent pas du téléphone, une envie de l'ignorer, de le faire attendre comme il l'a fait, lui aussi. et la minute qui passe enfin. "t'es en retard, Barnes." franchement c'est du foutage de gueule. parce que toi-même t'es au courant que c'est pas l'cas. mais il y a une part de ta fierté qui veut s'enfuir, déjà, maintenant, alors toute excuse est acceptable, pas vrai ? tant que t'es pas forcé à le regarder.

pourtant, tes yeux se relèvent vers lui quand ta main gauche - dominante - referme le bouquin un peu trop violemment, si bien que tes oreilles sifflent et que t'en plisse les yeux. putain de sens trop développés. ça te prend une ou deux secondes avant de pouvoir l'ignorer, le fait que tu te sois explosé les tympans tout seul, et tu te lèves enfin de ta chaise, les mains posées sur le bureau. "alors c'est quoi ton excuse ? donne m'en une bonne, que ça me donne envie de continuer à t'apprendre." un haussement de sourcils, pas la moindre expression visible sur ton visage.

sauf la fatigue, peut-être.
c'est peut-être pour ça, non, la mauvaise humeur ?
t'es épuisé, déjà.

Les cours étaient de plus en plus longs. Du moins, c’était l'impression qu’avait River. L'herbologie et la cryptozzologie étaient les seuls cours qui l’intéressaient encore. Mais il préférerait tout de même ne faire que bosser à l’herboristerie. S’il obtient son diplôme, c’était dans cette matière qu’il espérait avoir la meilleure note, histoire de montrer à son patron qu’il pouvait bosser à temps plein et avoir davantages de responsabilités autres que la vente. En attendant, aujourd’hui il ne bossait pas, pourtant il avait dû se lever pour rejoindre Lukas à la bibliothèque. Un dimanche! Sur le chemin, il s’était arrêté prendre deux cafés au starbucks et même s’il y avait la queue, il avait quand même réussi à arriver à l’heure au rendez-vous. Pourtant Lukas n’était pas du même avis. Riv’ regarde son tel en se disant qu’il avait peut-être été plus lent que ce qu’il croyait.

“Bah… J’suis à l’heure pourtant… Y’avait un peu de monde au café, sinon j’aurais été un peu en avance. J’t’en ai pris un aussi!”

Dit-il en sortant les deux grandes boissons de leur sac en papier. Il avait besoin de ça. Même si ça y est, il avait un peu plus de temps libre étant donné qu’il avait renoncé à son option, ça ne changeait pas qu’il était quand même crevé. Il regrettait un peu ses études, mais à quelques mois de la fin de la licence, se serait dommage d’abandonner là… Ce n'était pas l’envie qui manquait. A la base, il avait voulu faire ça parce que c’est ce qu’on lui a toujours dit “faut faire des études pour réussir dans la vie.” Ça dépend de la définition de réussite.

"Ça va? T’as l’air… De pas t’être levé du bon pied.”

Plus que d’habitude en tout cas. Lukas n’était pas très… Jovial. River n’arrivait pas tellement à savoir s’il détestait juste son boulot, ou si sa sociabilité naturelle venait d’ailleurs. Ou c’était juste la fac qui rendait tout le monde aigri, c’était aussi une possibilité. Lui aussi avait lentement perdu sa joie de vivre depuis qu’il était là. Elle est loin sa volonté de réussir ses études pour avoir un job qui paie bien. Maintenant, il veut juste un job qui lui plait et qui lui permet de vivre, même modestement. Et il l’avait trouvé. L'herboristerie lui plaisait vraiment. La littérature, de moins en moins, à chaque dissert’, à chaque commentaire de texte, il détestait juste un peu plus les classiques qu’il devait analyser.

une réponse attendue, t'es certain au fond qu'il te trouverait une réponse raisonnable, Barnes. parce qu'il n'est pas en retard, parce que t'es trop pointilleux, parce que t'as seulement envie de te lever, de rentrer chez toi, de te coucher et de dormir. pourtant, il regarde son téléphone, ça t'agace presque. t'es là, non ? toujours, alors pourquoi il s'inquiète, même ? tu déverrouilles le tien d'une main, un appui sur l'horloge pour lui montrer qu'elle présente une minute en plus sur l'heure que tu lui as donné - passée depuis qu'il est entré.

"j'ai dis pile. pas un, pas-..." un silence quand il s'explique, un froncement de sourcils. au café ? quelle excuse. tu retournes ton téléphone dans ta main, pour le poser silencieusement avec l'écran contre la table, un moment silencieux quand il explique t'avoir également pris un café. tu décroches pas ton regard de lui, même pas quand tu prends une grande inspiration avec beaucoup d'ennui, et que tu soupires bruyamment.

bon. ça le fera pour cette fois.

alors tu t'es redressé un peu, t'as attrapé la boisson qu'il t'a ramené, avant de te rasseoir dans ta chaise, presque affalé contre le dossier, toujours sans le lâcher du regard pendant quelques secondes de plus. on dit merci, connard. c'est la conscience qui te le rappelle, mais tu plisses seulement des yeux avant de décrocher ton regard de lui, pour prendre une gorgée de la boisson, la reposer sur le bureau, et réouvrir le livre d'herbologie.

"mmmh. ok. assit." c'est presque un ordre, alors que tu pousses avec ton pied la chaise de l'autre côté de la table vers lui. une offrande c'est toujours accepté pour te forcer à accepter que t'as eu tord, d'autant plus après une pleine lune aussi compliquée que la précédente nuit.

la question, cependant, te fais relever tes yeux vers lui. tu te rends compte même à ce moment à quel point t'es silencieux, depuis qu'il t'a mis ce café dans les mains, dont tu te rends compte que maintenant tu as repris possession, et tu remarques à l'instant avoir mordu le bord du gobelet en regardant les pages du livre avec cette tentative de te souvenir où vous en étiez.

"généralement il faut dormir pour pouvoir se lever d'un.. pied. qu'importe lequel." haussement d'épaules, puis un soupir. "t'es pas doué pour garder en tête les jours et tout ça, pas vrai ?" question sans aucun jugement, cette fois, et tu te surprends toi-même en t'entendant. alors tu déverrouilles une nouvelle fois ton téléphone, appuie sur la même horloge et tu lui a glissé. juste deux-trois informations sur la journée, mais les plus importantes affichées en gros sous l'heure.

phase de la lune précédente : pleine lune
phase de la lune actuelle : gibbeuse décroissante
visibilité : 99%

t'as un moment où tu reposes ton regard sur le livre, sans trop savoir pourquoi t'as envie d'éviter son regard à ce moment précis. fierté. fierté. tu dois être fier d'être un putain de loup-garou, alors pourquoi ça te fous la honte de lui montrer que c'était hier, la pleine lune ? "un conseil, si tu veux survivre ici, tu devrais suivre les phases de la lune d'une façon ou d'une autre. j'en connais qui t'aurais déjà arraché la tête." une seconde de pause. "on en était où ?"

Faire tout un plat alors qu’il était à l’heure, il s’était vraiment levé du mauvais pied ce matin? Lukas n’a jamais été particulièrement chaleureux envers Riv’, mais un peu de sympathie n’a jamais fait de mal à personne. C’est pas un café qu’il aurait dû lui ramener mais un thé au CBD. Ça l'aurait détendu un peu, il fait une remarque mais peut-être aurait-il dû se retenir. Il lui fait savoir que c’était la pleine lune la nuit passée. C’est vrai que certains sont plus affectés par ça que d’autres. Il s’installe sans rien dire. Alors que Lukas lui sort qu’il devrait faire attention au calendrier des pleine lune.

“J’sors rarement de chez moi le soir, je devrais pas avoir à craindre grand chose.”

Il n’était pas particulièrement sociable, et tellement fatigué qu’il ne sortait que très peu. Il s’occupait de son frère, c’était tout ce qui comptait pour lui. Il l’observe un instant.

“Lukas… Si t’es fatigué on aurait pu annuler tu sais… C’est dimanche, on a pas tant de temps de repos que ça… On peut remettre ça à plus tard. C’est pas cool si tu commences ta semaine déjà crevé…”

Il parlait sur un ton attentionné. Il n’avait pas envie d’être la raison de sa fatigue, et puis il comprenait. Déjà que lui de son côté était au bord du gouffre. Il avait cette petite voix dans sa tête qui lui disait “vas y, encore quelques jours avant le week-end, tu pourras souffler, et il ne reste que quelques mois avant d’en avoir fini”. Mais il n’était pas certain de tenir jusque là, il n’avait pas le choix pourtant. Mais il avait l’impression d’être constamment à deux doigts de couler et se noyer.